Ilha do Fogo : caldeira, bordeira et champs de lave
3e jour à Chã das Caldeiras. Temps de prendre le temps et d’apprécier le savoir faire local à partir de pierre de lave.
La plupart des touristes qui se rendent au pied du volcan n’y passent que deux nuits : celles autour de l’ascension, avant de redescendre à São Filipe voire de quitter directement Fogo. Nous avons fait le choix d’y passer 3 nuits, avec l’espoir de redescendre par Mosteiros. Pour ce 3e jour, nous avons prévu de faire le tour de la caldeira.
Le volcan est le centre d’un demi-cercle de 9 kms de diamètre constitué par un rempart montagneux : la bordeira.
C’est donc entre les coulées de lave et ce mur qui culmine à 2700 m. d’altitude, que nous allons passer l’après-midi, en allant vers le sud, histoire de voir si, depuis la sortie de la caldeira, nous apercevons l’océan. Pendant ce temps, à Chã das Caldeiras, on reconstruit en matériau local ; enfin, c’est pour le paraître, car parpaings et placo sont aussi utilisés dans les constructions!
Voilà un arbre qui m’avait intrigué dès mon arrivée, et qui continue : un eucalyptus. Malgré une présence impossible à rater au Portugal, je n’en avais jamais vu la fleur. Ou pas de ce type en tous cas.
Nous prenons la piste par laquelle nous sommes arrivés à Chã deux jours avant, à l’envers. Une constante : le noir du paysage et le volcan.
Les motifs laissés par la lave sont quant à eux nombreux… Tantôt fins, tantôt grossiers, lisses ou tranchants, solides ou branlants, toujours d’un noir de jade, avec ces reflets bleutés, s’agissant des coulées de 2014.
Une coulée de 2014 qui n’a pas fait de mort sur son passage, mais tout emporté.
Ou presque : certains ont pu ne pas construire en bas, sur le plat. Ils sont rares.
Nous tombons sur des descendants de Armand de Foucheurt de Montrond, un natif de Grenoble (1844) qui pour des raisons obscures, choisit de rester à Fogo sur la route de son exil. Ces arrières petits enfants du français qui laissa une descendance directe de plusieurs dizaines d’enfants, se présentent d’eux-mêmes. Ils doivent avoir l’habitude, car leur bisaïeul a laissé une empreinte indélébile sur l’île.
Dès notre arrivée à Chã, nous tombions sur un enfant métis blond aux yeux bleus se baladant nu après sa douche…
Nous en déduisions directement, d’après ce que nous avions lu, que dans son nom de famille, il devait y avoir « Montrond ». Le français fit aussi construire des routes sur l’île -l’une d’elle, d’un certain point de vue, tracerait d’ailleurs ses initiales, « AM »!- et introduisit la culture de la vigne à Fogo.
Ses descendants, qui n’en sont qu’une infime partie mais qui en tirent grande fierté, nous expliquent qu’ils ne vivent plus dans la caldeira : après l’éruption de 2014, ils ont choisi de reconstruire sur un de leur terrain situé à l’extérieur. Mais leurs terres se trouvent à l’intérieur et c’est quotidiennement qu’ils s’y rendent.
Au fond de leurs regards bleus, on sent un soulagement de ne pas avoir à craindre autant qu’avant les caprices du volcan.
Mais nous devons continuer notre route si nous voulons être rentrés avant la nuit : dommage, la discussion aurait pu être riche!
Un autre mystère se pose là : la forme de ces maisons traditionnelles de Fogo : construites en pierre de lave, de forme circulaire et surmontées d’un toit blanc -je me suis aperçu que ça rendait leur localisation plus facile, et peut-être aussi pour des questions d’isolation contre la chaleur?-, elles ressemblent à des cases africaines, telles qu’on s’en fait l’idée.
J’ai suggéré, vu l’endroit où nous nous trouvons, que peut-être des esclaves échappés aux colons avaient trouvé refuge dans la caldeira et, n’étant pas soumis à l’acculturation infligée par les portugais, avaient construit leur maison selon les méthodes qu’ils connaissaient ou celles de leurs aïeuls, par nécessité forcément, et réaction peut-être aussi.
On me répondit que c’était peut-être ça…
L’idée m’est venue de ce que je connaissais de l’histoire des maroons, en Jamaïque, ou encore de celle de la communauté de Zumbi dos Palmares au Brésil : on sait que si ces communautés furent, contre toute attente, des alliées du système esclavagiste en place, elles furent aussi les principaux foyers de résistance de la culture africaine dans leurs lieux de déportation.
Malheureusement, on n’a su m’en dire plus.
Je suppose que, d’une, je n’ai pas su rendre la question intéressante, ou gagner la confiance de mes interlocuteurs…
… Sur des questions qui mettent en avant leur origine africaine, quoiqu’assumée, pas toujours bien cernée, peut-être.
Les africains du continent disent des capverdiens qu’ils sont un peuple de l’Atlantique plutôt qu’Africains.
De deux, ils ne le savent peut-être pas eux-même. Le niveau d’éducation général reste minimal et les questions relatives à l’africanité sont secondaires, voire bien au delà quand il s’agit de vivre ou de survivre. De trois, je vois que le processus d’acculturation a atteint son but. C’est comme si, face aux interdits multiples, on avait même effacé les tradition et mémoire orales.
Ces questions sont aussi peut-être trop compliquées pour moi, ou les réponses bien plus simples que ce que je crois.
Le volcan est là, c’est un fait. La terre et noire et rouge, c’est un fait aussi. Selon les entretiens menés par J.-Y. Loudes pour écrire son « Cap-Vert : Notes Atlantiques », les premières maisons construites dans la caldeira ne le furent qu’en 1917. De quoi doucher froidement mes suppositions, quoi qu’elles puissent être trransposées en dehors de la caldeira même.
Ces « cases » sont en fait des funcos, traditionnellement aux toits de chaume, que l’on retrouve aussi à Santiago, Maio et en Guinée Bissau. Ah, peut-être une piste! Quant aux 1ères vignes plantées au pied du volcan, ça n’aurait été qu’en 1920. C’est donc Armand de Montrond qui aurait compris que Fogo fournissait des conditions idéales à la viticulture.
Outre de la sculpture, il y a donc du vin, à Chã! Nous en avons goûté dès notre arrivée, du vin de table…
Avec, pour moi, un goût de Porto en bouche et celui de vinho verde tinto une fois avalé. Sensation unique! D’autant plus exclusive que…
…Si nous avions pu apprécier le vin de Chã dans un restaurant de Mindelo, boire cet elixir en dehors du Cap-Vert est quasiment impossible : son exportation est en effet interdite, le Manécon, appellation du vin local, contenant trop de méthanol. En gros, ce vin rend fou. Pour ce que nous avons testé, il rend doux!
Et bien, ça n’est pas tout ça, mais nous sommes quasiment arrivés à destination!
Sortis de la caldeira, il nous reste bien peu de temps pour rentrer au village : nous avons mis 5H, tant l’observation du paysage à travers mon oeil électronique me rend lent. Il nous reste 2H avant la tombée de la nuit. Jusqu’ici, tout s’est bien passé, y compris deux ou trois rencontres et demandes de renseignements.
Mais le plus compliqué reste à faire : il nous faut retourner de l’autre côté!!! Un trio de locaux nous a bien dit qu’un chemin passait sous le Pequeno Pico, mais encore faut-il le trouver, ce chemin…
A la sortie de la caldeira, nous tentons le tout pour le tout avec un touriste allemand monté de São Filipe en voiture… Il n’a malheureusement plus de place, et en plus ses deux enfants sont en pleine sieste.
Pas de problème… Nous avons atteint notre but, voir l’océan en contre bas, depuis 2000 m. d’altitude.
Il s’agit désormais de trouver la solution adéquate pour rentrer, sans paniquer et tout en profitant.
Le paysage est toujours aussi changeant, même en reprenant le chemin à rebours!
Il est même possible de faire une randonnée de 3 jours à une semaine sur les crêtes, tout là-haut. Une aventure pas donnée niveau tarif et, sûrement, physique -tentes, eau, nourriture à transporter-, mais pourquoi pas, une autre fois?
Nous avons fait notre choix…
Nous allons passer par le beau milieu de la caldeira, sous le Pequeno Pico…
Soit quelques kms à travers les champs de lave avec pour seul mot d’ordre : attention où l’on met les pieds! La méthode est simple : nous nous mettons en rappel avec un bâton de 1m50 et avançons donc au même rythme, avec ma compagne qui suit mes pas. Il est hors de question de tomber dans ce fatras de lames de lave!
Par endroit, le sol est chaud -je ne dirai pas très car nos chaussures n’ont pas fondu…-, nous sentons des bouffées de chaleur s’en élever, comme si la lave circulait encore à quelques centimètres sous nos pieds. Spectacle incroyable que ce sillon de plusieurs mètres de profondeur creusé par la lave en fusion à la sortie du cratère!
Mais d’une certaine manière, bien que lente, notre progression est simple, dictée par les voies qui semblent les plus accessibles.
Quel spectacle! Nous sommes un peu appeurés, en plein inconnu, ne sachant si nous faisons-là quelque chose de dangereux.
Mais nous nous rassurons, il suffit de ne pas mettre les pieds au mauvais enndroit et de ne pas énerver le volcan.
Un volcan dont on devine la grimace entre ces murs de lave de 4 m., comme un dernier rictus avant de se voir refroidir…
Non, je n’aurais pas pu passer au milieu de tout ça sans prendre de photos! Quant à narguer le Grande Pico…
On n’y pense pas devant ce spectacle. Non, on observe, on s’émerveille, on respecte et on espère que le volcan nous laissera partir avec un peu de lui, plutôt que de nous garder tout entiers. A postériori, on comprendra que tout s’est bien passé : nous sommes rentrés entiers d’une randonnée d’environ 17 kms et nos hôtes s’en sont étonnés sans toutefois nous reprocher notre itinéraire.
Après un ragoût local accompagné de vinho de Chã bouché, cette fois, il s’agissait de meubler la soirée, ce à quoi José s’employait sans retenue. Vu que l’awalé ne semblait pas trop dans nos cordes -c’est peu de le dire!-, c’est vers la musique qu’il nous entraîna. Direction la maison du peuple où à sa demande, un trio de musiciens nous fit une petite représentation.
Un djembé accompagnait avec toute la douceur possible le rythme imposé par le cavaquinho -« gros » ukulélé- et la mélodie de la guitare, le tout supportant un trio vocal dans un ensemble digne, tant par le tempo que les harmonies vocales, des plus belles heures du rocksteady! Frissons, ç’aurait été la Jamaïque des 60s en accoustique que je n’y aurais vu que du feu!
Le refrain de la plus belle des chansons de leur répertoire étant quant à lui, et malgré nos recherches et questions, resté inexpliqué.
« Guiné, Guiné, Cabo Verde, Cabo Verde, Angola, Angola, Mozambique e São Tomé »… 100% açùcar…
Mais du sucre qui, tout en citant uniquement les pays lusophones d’Afrique et oubliant le Brésil, le Portugal et d’autres territoires usant de la même langue, cache certainement une histoire commune voire entremêlée, et un propos de résistance face au colon européen. En somme, une chanson qui daterait des années 1960-70, à l’heure où l’envie d’indépendance sonnait.
Un moment unique auquel l’absorption modérée d’alcool, même méthanolisé, n’a que peu d’apport, c’est une certitude.
C’est ensuite la radio cassette de la voiture de José qui donnera le tempo pour une leçon de danse funana… Avant de rejoindre un lit douillé pour une dernière soirée aux chandelles, au sens propre! Demain,si le temps le permet, nous descendons par Mosteiros et rentrons à São Filipe.
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