Ilha do Fogo : São Filipe
Il est quasiment 10H et le temps est plus que jamais gris. D’ailleurs, le Grande Pico a tout simplement disparu! Il y a eu une tempête cette nuit. J’ai dormi comme un loir, à poings fermés, mais Chã das Caldeiras s’est quelque peu retrouvé sans dessus dessous, avec quelques dégâts dus à des vents forts.
Décidément, les locaux doivent faire avec les éléments naturels, et pas des plus doux… Et nous aussi! Nous avions prévu de redescendre par l’Est, à travers les plantations de café en direction de Mosteiros, à pied, pour ensuite rejoindre São Filipe en taxi, mais vu le manque de visibilité, nous abandonnons à contre coeur ce projet.
Il est question de petits problèmes d’insécurité aussi, et de prendre un guide. Bah, ce sera pour une autre fois.
Du coup, on nous privatise un colectivo : nous connaissions le risque, on nous avait prévenus pour le dimanche, où il n’y a aucun transport collectif. Le prix s’en trouve donc justifié. Adeusinho, Grande Pico, ce fut un honneur de faire ta connaissance et même un peu plus.
A l’Ouest de l’île, le temps est identique : nuages, océan de nuages, à perte de vue…
Tant pis, on ne peut pas tout avoir… Pourvu que nous arrivions entiers là-bas tout en bas, au pas, et c’est parfait… Les cônes adventifs, témoins de la grande activité volcanique de l’île, sont toujours aussi fascinants à croiser…
Dans son passionant roman Un Domaine au Cap-Vert [=Ilheu da Contenda], 1978, Henrique Teixeira de Sousa fait projeter à l’un de ses protagonnistes la construction d’un réservoir dans l’un de ces cones, pour faire face aux sécheresses. Projet qui ne fut jamais mené à bien, semble-t-il : pas plus dans la fiction que dans la réalité.
Nous voilà à São Filipe, au Residencial Girassol cette fois, avec une hôtesse parfaitement francophone,à l’opposé des Casas do Sol où nous avions dormi en arrivant à Fogo. Il est temps de découvrir la capitale de l’île pour de bon. Cet entrepôt de Strela, la bière cap-verdienne, ne passe évidemment pas inaperçu…
Mais dans la ville des sobrados, ce sont aussi les maisons plus récentes qui attirent l’oeil. On peut ici légitimement penser que ce sont des maisons d' »americanos », ces cap-verdiens qui ont émigré aux USA et fait construire au pays. Fogo est l’un si ce n’est le principal foyer d’émigration de l’archipel vers le géant US.
A côté de ça, on a toujours quelques vestiges ou imitations de monuments de l’époque coloniale. Peut-être une ode à la lusophonie?
Ah, ben voilà : quelque chose qui ressemble à une maison d’americano aux côtés d’une maison plus traditionnelle. Pour « americano », le terme peut sembler un peu dédaigneux, mais je reprends la terminologie de Teixeira de Sousa : c’est bien plus simple. Après tout, il y a bien quelque chose de similaire au Portugal avec les émigrés.
Comme partout dans l’archipel, nous tombons sur les sièges locaux de partis politique, avec le plus ancien et emblématique, le PAICV, fondé par Amilcar Cabral, avec qui on avait fait un peu mieux connaissance à Praia.
Bon, à défaut d’avoir pu traverser les plantations de café de Mosteiros, ce qui n’est pas sans me laisser un goût amer, on peut boire du café local. Ce serait l’un des meilleurs du monde, et préparé façon expresso il est juste très bon. Quant à leur taxer une tasse, ç’aura été mission impossible, même demandé poliment et argent comptant…
Oui, faut bien amadouer le touriste, mais bon, on n’a pas besoin de ça…
Nous arrivons dans le centre ancien de la ville. Au milieu des sobrados. Maison coloniale portugaise, on la retrouve aussi au Brésil
Le sobrado a généralement pour le moins un étage, où habitaient les propriétaires, des Blancs. Au rez-de-chaussée se trouvaient les magasins / entrepôts, ainsi que les habitations pour les esclaves / employés. Accéder à la propriété d’un sobrado fut considéré, au tournant des années 1960, comme signe d’ascension sociale.
Pas toujours bien vue, en réalité… Mais je vous renvoie à Teixiera de Sousa!
Le traditionnel kiosque à musique est là, lui aussi… Et ces Croix de l’ordre du Christ, vous les avez vues?
Dans ce cadre architectural colonial, une note plus moderne et surtout, locale. Enfin, ça n’est pas comme si tout n’était pas local, mais avec l’art de rappeler « ailleurs ».
Voilà plus traditionnel… Plus populaire en tous cas : une maison à deux ou trois pièces, de plein pied. Apparemment, on a ici un détaillant d’appareils électroniques LG, ou un fan de la marque coréenne.
Mais voilà que notre balade se fait au rythme du streetart! Il y a de très belles fresques sur le quotidien.
On navigue en fait entre streeart et sobrados, pas le choix! D’ailleurs, pour les seconds, il y a un musée ainsi qu’un parcours à São Filipe. Mais c’est fermé le dimanche et nous ferons sans.
Il suffit de se laisser aller au grès des rues pavées, des descentes et des pentes hardues. Mais le sentiment d’être en Europe est là.
Un sentiment d’être en hauteur, aussi, tout en étant tout au bord de la mer : étonnant, et ça n’est pourtant pas l’église qui nous rapproche des cieux!
Fermée aussi, Nossa Senhora da Conceição date de la fin du XIXe s. quand les sobrados qui l’entourent sont pour la plupart du XVIIIe s.
Le Farolim de São Pedro, ou plus exactement l’ancienne prison d’époque coloniale, comme nous le dira notre hôtesse.
Henrique Teixeira de Sousa me donnera un peu plus de détails, encore, me donnant l’impression de refouler les pavés de São Filipe : il s’agit de la place du pénitencier. Voilà qui corrobore par ailleurs l’indication de notre hôtesse.
Voilà ce qu’elle a de spécial, cette fameuse place! Surplombant de 40 m. la plage da Bila, on y aperçoit Brava.
Ah, ce que j’aurais aimé y aller à Brava aussi, avec sa Nova Cintra, d’après la Sintra que j’aime tant!
Déambulations…
On aperçoit la bordeira, tout là-haut, à travers les nuages auxquels j’en veux quand même un peu, d’autant qu’il nous reste toute la journée de demain sur place : nous devons décider de ce que nous allons faire.
C’est pas que São Filipe n’est pas plaisant, mais j’aurais tellement aimé voir les plantations de café! Caprice de touriste… Place Alberto da Silva, chapelle.
Ah, le sport national! Enfin, le plus populaire que j’aime! Les capverdiens aiment aussi et n’hésitent pas à gruger.
Mais je ne perds pas le Nord pour autant… Les alentours du stade, en ce jour de championnat national sûrement, sont plus peuplés que ne le laissent paraître ces clichés.
Toutefois, malgré la tranquilité des cap-verdiens tout au long de ce séjour, j’hésite encore à les mitrailler de mon appareil photo, autour des grillades, bières à la main. Pas le temps de me faire accepter, et risque de voir virer la bonne humeur. Les abords des stades ne sont pas les lieux les plus connus pour la fraternisation. Enfin, tout dépend!
C’est d’ailleurs ce qui arrivera 5 minutes plus tard, alors que deux personnes jouent aux dames sur une grande table sans pieds posée sur leurs genoux face à face, dans la rue. A peine mon appareil levé, ils me tendent un doigt d’honneur qui me contraint à continuer mon chemin sans me retourner.
Ah, mais c’est qu’il y a un paquet de résidences de type « americano », ici!
Mais les USA, bien que le principal, ne sont pas l’unique lieu d’émigration pour les habitants de São FIlipe, si j’en crois cette fresque… Madame restée au pays avec les enfants, monsieur au travail au Portugal : le lot de bien des ménages de l’archipel depuis son indépendance.
Avant l’accession à l’autonomie politique, l’émigration existait aussi, organisée par l’Etat Nouveau portugais : pour faire face aux famines suivant les périodes de sécheresse à Fogo, on envoyait sous contrat de plusieurs années tous les volontaires à São Tome e Principe, pour la culture du cacao. Là encore, il convient de lire HTdS, en véritable ethnographe.
Monument à la visite du président portugais en 1955, Francisco Craveiro Lopes, marionnette de Salazar. Etonnant, toujours.
Sur la même place Serpa Pinto , du nom d’un explorateur de l’Afrique australe et gouverneur local, un buste aux traits noirs non identifié…
Fin de journée… En longeant la Praia do Bila par en haut, nous avons rencontré notre guide de demain : nous ferons donc le tour de l’île, rendez-vous est pris. Ne reste plus, pour aujourd’hui, qu’à savourer le coucher de soleil sur Brava et son volcan. Avant de terminer avec un incroyablement copieux repas qui se terminera forcément par… Um grogue velho!