Bragança
Levé 7H, route gelée et soleil en pleine face : on est en décembre et je vais plein Est. Je garde de belles images et quelques questions -après la turfeira da mourisca à Pitões das Junias, congo dos Mouros ou encore sur cet itinéraire. A Chaves, en plongeant dans la vallée du Tamega, je passe sous le brouillard. En en ressortant, ça ressemble à ça, au dessus de la ville, avec l’Espagne en face.
Suivent quelques 10aines de kms jusqu’à Vinhais, où j’arrive vers 10H30.
La petite ville d’un peu moins de 10 000 habitants n’est pas dénuée de charme…
Avec les ruines de son château…
Enfermant une vielle ville un peu labyrinthique…
Qu’on restaure touche par touche…
C’est pittoresque…
Mais peut-être pas de quoi préférer un parcours rallongé d’une heure. C’est fait, j’aurais essayé. Ah! Saint Jacques de Compostelle : c’était l’une de mes possibles destinations durant ce séjour, mais mon programme, avec mes nombreuses découvertes, semble s’être légèrement étoffé.
Le 20 mai 1253, le Roi Afonso III concéda un foral (=charte) où il fait référence à Vinhais.
L’enceinte fut bâtie entre les XIIIe et XVIe siècles.
Bien que fort loin du travail, je ne peux éviter de penser à un artiste central dans les collections du musée où je passe mes semaines… François Fleury-Richard, un dessinateur amoureux de ruines médiévales.
Sur une placette centrale se dresse le pelourinho local, de style manuélin. Ce pilori n’a pas dû avoir le même rôle que son cousin à Cidade Velha au Cap Vert , ou même dans d’autres villes portugaises. A partir du XVe s., ils étaient au Portugal surtout l’expression des pouvoirs municipaux. A partir de 1834, beaucoup furent détruits par les libéraux, car ils symbolisaient la tiranie monarchique.
11H30, je trace : sympa, mais j’imagine que Vinhais est plutôt une ville pour randonneurs, au vue des paysages alentours.
13H environ. Après 10 min d’une sieste réparatrice en arrivant dans une banlieue qui semble avoir été érigée par les américains -quadrillée, bétonnée, moderne tout en étant basse, avenues immenses, comme un révélateur d’une fort possible folie des grandeurs de la modernisation portugaise-, j’entre dans le centre ville par la gare qu’aucun train ne traverse depuis 1990.
J’ai déjà vu ce que je pensais être venu voir, mais il me faut aller un tout petit peu plus loin : une traversée de la vieille ville à pied en sera l’occasion. Bragança a l’air d’une grosse bourgade rurale : avec environ 35 000 habitants, la municipalité joue dans la catégorie de Millau, pour ce que j’en connais. Et ça se sent. Ici, l’ancienne sé .
L’église, construite fin XVIIe pour des Clarisses devint vite celle d’un collège jésuite et un séminaire dès 1766. Son clocher date de 1930, comme rien ne l’indique.
Sur la place, un cruzeiro , croix de pierre qui n’est pas un pilori, de 1689. Et au bout de la rue des Combattants de la Grande Guerre, mon but.
Mais serait trop simple, alors je fais durer la découverte et m’écarte vers le parc du Montesinho … C’est étonnant.
Finalement, dans ce coin montagneux du Nord Est du pays, le Portugal reste ce que je m’imagine, quoi qu’ici un peu plus humide et froid.
Retour dans la rue des Combattants de la Grande Guerre. Quoique pittoresque, le centre ville paraît avoir été déserté…
Devant un bel édifice administratif, un hommage rare voire inexistant dans mes souvenirs : le monument aux morts de la 1e Guerre Mondiale. En France pour ce côté, en Afrique pour son opposé. Le Portugal était neutre de 1914 à 1916 avant de s’engager contre l’Allemagne avec qui elle était pourtant en conflit en Angola et au Mozambique dès 1914. Comme l’impression de plonger dans une aventure de Corto Maltese! C’est pourtant bien plus compliqué .
Paroisse de Santa Maria et château de Bragança. Un peu ce à quoi je m’attendais sans m’y attendre. Bizarre!
Il existe à Bragança des traces de peuplement depuis le néolitique.
Avec la conquête romaine, la ville est baptisée Juliobriga par Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), en honneur à Jules César, son père adoptif. Avec la tombée de l’Empire, la cité est nommée Brigância. Détruite durant l’invasion arabe de la péninsule (début du VIIIe s.), elle est reconstruite sur le outeiro [=colline] Benquerença, sur les rives de la rivière Fervença, à l’emplacement du château actuel.
On peut dire que cette ville et une pierre angulaire du Portugal…
D’abord géographiquement, puisque si l’indépendance politique du Portugal est proclamée plus à l’Ouest , une reconquête sur les Maures depuis cet angle Nord Est du pays paraît logique, du moins symboliquement.
Et puis Bragança est le berceau de la maison de Bragança, dont le fief correspondait à peu près à Tràs-Os-Montes entre les XIe et XIIIe s.
La maison de Bragança, c’est une famille dont une lignée (la seconde maison de Bragança) régna sur le Portugal de 1640 à 1853 et sur le Brésil de 1815 à 1889, et une autre (la troisième) sur le Portugal de 1853 à 1910. Depuis 1932, l’aîné de la seconde maison de Bragança est désigné comme chef de la famille royale portugaise. Je parlais donc de pierre angulaire, tout un symbole!
Le tracé et le système de fortifications tels qu’on les voit aujourd’hui datent du début du XVe s. La ville, dans une situation pour le moins stratégique, fut un objet de disputes incéssantes entre Portugal et Leòn et Galice, entre Portugal et Castille, mais aussi entre prétendants portugais au trône portugais.
Le traité de Ségovie, en 1400, intègre définitivement Bragança au Portugal. La construction du donjon en 1439, vient parachever la modernisation des fortifications et l’appartenance de la ville au royaume portugais.
C’est à cette même époque, en 1442, que Bragança est élevée au rang de duché par Dom Pedro, un prince portugais de la dynastie -capétienne…- d’Aviz, qui mit à sa tête son frère illégitime, Dom Afonso, 8e Comte de Barcelos. Ironie du sort et sans plonger dans les méandres généalogiques des dynasties et maisons royales portugaises…
… C’est cette branche bâtarde de la maison d’Aviz, devenue deuxième maison de Bragança…
… Qui régna le plus longtemps sur le Portugal, et par la suite, le Brésil.
Aujourd’hui, le donjon est un petit musée militaire présentant objets et armes de toutes époques et lieux devenus lusophones : on y croise donc aussi bien des armures médiévales que des parrures de guerre africaines ou indiennes, ou encore des canons des guerres de décolonisation…
Il a un caractère unique : massif et rustique, avec cette fenêtre gothique qui lui confére un peu d’esprit…
En face, l’église Santa Maria telle qu’elle est à l’heure actuelle date dans ses parties les plus anciennes du XVIe s.
Elle subit, jusqu’au XVIIIe, de nombreuses modifications et ajouts, de style baroque principalement, avec des influences originaires de l’école de Valladolid, frontière oblige.
Sur l’un des flancs de l’église se trouve un édifice unique dans toute la péninsule ibérique : la Domus Municipalis, qui servit de chambre municipale, fut érigée au XIIe s. dans un style romain exclusif dans la péninsule.
Elle serait apparemment placée au dessus d’une citerne.
Mais… J’apprends par N qu’une place m’a été réservée dans une visite à Foz-Coa… Inutile de rentrer à Ladrugães : Villa Nova de Foz-Coa ne se situe qu’à 110 km de Bragança et la visite est à 9H du mat’. La magie d’Internet fera le reste!
Il est donc temps pour moi de me préparer à quitter Bragança et ses beaux remparts sur lesquels ont encore reluqué les espagnols au cours du XVIIIe s. Un prego no pão>, version locale du hamburger, et…
Non sans, bien entendu, prendre un peu d’altitude pour une vue générale des lieux visités aujourd’hui… Il est plus de 17H : je trace vers un magnifique ciel rougeoyant, chemin faisant, tandis que N et C ont enfin lancé leur pêche miraculeuse. Enfin, N surtout, avec 7 sandres dans la besace, soit une belle journée pour tout le monde!
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