Accompong
Il faut se lever très tôt pour trouver un café à Montego Bay. Et pas top avec ça. Mais les jamaïcains préfèrent le thé, ceci expliquant peut-être cela. Avant mon départ pour Accompong, je passe par le Sam Sharp Square, où sévit un jeune rasta aux salades de fruits et identifie deux monuments locaux.
The cage , dont le procédé date de 1806 et le bâtiment actuel de 1823 : ivrognes et esclaves en vadrouille après 15H y étaient enfermés pour la nuit.
Sam Sharpe, héro national représenté sur les billets de 50 JM$ était un prédicateur baptiste abolitionniste. Il organisa une grève pacifique fin 1831, durant la récolte de canne à sucre. Celle-ci dégénéra très vite et sa répression fit 300 morts, dont Sharpe, en 1832. L’esclavage fut aboli 2 ans plus tard.
9H15, c’est parti pour Accompong, avec un passage par Anchovy et ses nombreux bars bordant la route. C’est un de ces villages sous les arbres, décrit par Russell Banks dans ses romans ayant pour théâtre la Jamaïque. Mais nous traversons sans arrêt, avec une première escale à Montpelier.
Si les explications ne manquent pas quant au baptême de la ville homonyme dans le Vermont US, ça n’est pas le cas ici.
Nous ne faisons que longer Montpelier même, le centre est en retrait de la route qui est elle bordée de ces petits bars…
Si bien qu’on peut avoir la sensation qu’il n’y a que des bars, qui plus est fermés à cette heure de la journée. C’était, du reste, également le cas à Anchovy dont l’activité maraîchère restait plus marquée dans le paysage.
Mieux vaut ne pas avoir pris de produits, car les effets peuvent être surprenants en fonction du contexte…
Pour ma part, j’ai déjà oublié l’insécurité de Kingston et oublie portable et autre un peu partout, ce qui me vaut une remarque justifiée de mon accompagnateur. Il y a pas mal de route…
Je prends petit à petit conscience que nous repassons quasiment sur la côte sud de l’île : je pensais que l’itinéraire serait Montego Bay – Maroon Town – Accompong, mais la route est impraticable. Les tarifs annoncés par plusieurs taxis étant identiques, je n’ai pas de doute sur la question.
L’existence passée de l’agence d’excursions pour Accompong à Montego Bay m’a induit en erreur. Mais je vois du paysage entre deux virages… Nous allons quasiment jusqu’à Black River, dans la paroisse de Saint Elizabeth. Les bambous se démarquent dans la végétation toujours luxuriante.
A Holland Bamboo, ceux-ci forment un tunel au-dessus de la route sur plusieurs kms. C’est incroyable! 2e arrêt : mon chauffeur me parle de Jelly Bean en me montrant des noix de cocos, c’est l’occasion de me faire goûter. Il s’agit à priori de la noix de coco pas mûre où l’on racle la gelée.
Voilà qui me renvoie à la pochette d’une bien belle compilation… Ceci-dit, ça ne sont pas les références au bambou qui manquent dans la musique – grivoise – jamaïcaine!
Nous remontons vers le centre de l’île. Vers Maggotty, les vallées sont larges et claires : j’imagine que la canne à sucre les recouvrait autrefois. La distillerie Appleton, l’un des rhums jamaïcains les plus connus, se trouve non loin.
Petit à petit, la route se transforme à nouveau en boucles de lacets de plus en plus serrées. Christophe Colomb, en découvrant l’île, aurait écrit : « la plus belle île que mes yeux aient vus. Montagneuses, les terres semblent toucher le ciel, pleines de vallées et de plaines ».
Nombreuses espèces d’arbres, plus de 3000 espèces de plantes dont 800 locales, plus de 200 espèces d’orchydées…
550 variétés locales de fougères, soit plus que partout ailleurs, dans une forêt qui recouvre 25% du territoire…
Alors que cette fois, c’est arrêt mandarines, je suis complètement absorbé par la verdure, les collines, le paysage…
La forêt vierge jamaïcaine se situe plutôt dans les Blue Mountains. Ici, l’habitat humain est parsemé mais bien présent.
Accompong Town est vraiment isolée, ce qui bien évidemment s’explique par son histoire particulière. C’est en quelque sorte l’équivalent des quilombos du Brésil, où Zumbi dos Palmares fut le principal chef.
En Jamaïque, Nanny, héroïne nationale que l’on retrouve sur les billets de 500 JM$, fut l’un des principaux chefs maroon.
Nanny sévit dans les Blue Mountains et dans la paroisse de Portland, où une ville, désormais Moore Town, porta son nom.
Mais c’est Cudjoe, l’un de ses proches, qui marqua plus significativement l’histoire jamaïcaine, dans les environs d’Accompong.
Les maroons, ou cimarons en espagnol, sont ces esclaves qui s’échappaient des plantations et formaient leur propre communauté tout en entretenant leur héritage africain, facilité par leur appartenance majoritaire aux peuples Akan et plus spécifiquement Ashanti, originaires du Ghana.
Nous voici arrivés dans la ville qui, au début du XXe siècle, ne comportait quasiment que des habitations de type huttes ou cases. Aussitôt arrivés, nous sommes invités à suivre un guide, pour 3000 JM$. C’est ainsi.
C’est sur le terrain autour de ce monument à Cudjoe qu’était pratiqué le rite poco , afin d’attirer la bienveillance des esprits.
L’église, où est pratiqué un culte d’obédiance protestante presbytérienne, est l’une des plus anciennes structures du village. Comprendre « bâtiment en dur ». C’est avec son arrivée à Accompong qu’une véritable acculturation débuta, les noms africains étant par ex. remplacés par les anglais. Pas de date, toutefois… Fin XIXe?
Le cimetière, qui surplombe les cockpits , au loin, est quant à lui composé de tombes originales, avec mention spéciale aux maisons « dernière demeure » et autres canapés.
L’esprit de l’être cher est par la suite gâté : je me suis risqué à demander, sourire en coin, qui buvait les bouteilles. Ca na pas été mal pris mais aucun doute que c’étaient les esprits.
Je dois revenir à Cudjoe : pendant des années, lors de la 1e guerre des Maroons qui dura une 50aine d’années, il mena la vie dure aux anglais et à leurs installations sur l’île, au point que ceux-ci finirent par leur proposer un accord, en mars 1739. La paix fut signée, les Maroons y gagnant en quelque sorte l’indépendance.
En contre partie, ils avaient désormais obligation de pourchasser les esclaves fugitifs au lieu de les accueillir. C’est autour de cette 1ère guerre des maroons que se déploie la visite, mais le guide en profite pour me montrer diverses plantes, comme ici le ackee (en anglais, akée ou aki en français), déjà croisé et goûté.
C’est une espèce proche du litchi et son fruit est utilisé dans le plat national jamaïcain, ackee & saltfish , soit aki et morue. Il doit être consommé bien mûr, sans quoi il peut être toxique, voire mortel. L’arbre, comme l’essentiel de la population jamaïcaine, est originaire d’Afrique de l’Ouest où il est également toujours consommé aujourd’hui.
Si le bush doctor me renvoie au Reggae, l'(ancienne?) officine de celui-ci, si j’en crois la vente des herbes médicinales, reprend l’iconographie locale chère aux Maroons, avec l’abeng – nom de la corne de brume en pays akan – et Queen Nanny.
Mais ça va, on est en Jamaïque et le Reggae et ses attributs ne sont jamais bien loin.
Au sommet de la colline, se trouve l’école d’Accompong, bâtie en 1968. Le guide m’explique que cette construction a une charge très symbolique à cet endroit précis car s’y trouvait au préalable le champ de parade d’Accompong, le site ou était rendue la justice,…
Ce même site où les guerriers s’entrainaient tout en surveillant les environs. Etant donnée l’activité principale des Maroons, ce terrain était d’une grande importance identitaire. Le fait qu’une école y soit bâtie fut donc mal reçu, le sommet de la colline ayant été rasé pour l’installation école + terrain de jeu.
Les Maroons ne se considèrent pas jamaïcains en premier lieu. Ironiquement, ils conservent leurs instruments de parade, moins belliqueux désormais, dans une salle située dans l’école.
Je n’ai pas trop creusé, mais le statut négocié par les Maroons en 1739 les place encore parfois en porte à faux par rapport aux Jamaïcains.
Cette situation à différentes castes de déportés existe dans d’autres territoires au passé esclavagiste, comme c’est le cas à São Tome e Principe, par ex, bien que le cheminement ait été différent. Le guide trace, je traîne.
C’est aussi la région des cockpits qui m’a amené ici, mais la végétation cache ce théâtre d’effondrements calcaires favorables à la guérilla.
Aux abords d’Accompong, au dessus d’une vallée encaissée, où Cudjoe établit son plan de bataille contre les Anglais.
Je dois jongler entre histoires, histoire, paysage et plantes quand le guide me montre du yam : igname!
Le kindah tree voit toujours les Maroons se réunir chaque 6 janvier pour fêter Cudjoe qui avait réuni Akans, Congolais et autres peuples africains sous une unique bannière maroon : kindah signifie « une famille », « unis ».
Non loin du kindah tree se trouve le peace cave où fut signé le traité d’indépendance des Maroons. J’y ai trouvé ceci.
Je dois toujours jongler avec tous types d’informations : on me fait sentir les feuilles de cet arbre qui donne du poivre… 1ère fois.
La visite est quasiment finie : nous passons devant la banque d’Accompong où m’est proposé l’achat d’un billet à usage local, mais je suis… Rincé! Ceci dit, l’existence de ce document est aussi là pour démontrer la mentalité et l’identité locales. Ils sont Maroons.
Et on continue avec le ricin, dont l’huile a différentes vertus, y compris pour des régimes dictatoriaux comme celui de Mussolini.
On me propose de manger, mais il est temps de s’en retourner. Ceci dit, ce bâtiment est le seul à mêler identités maroon et jamaïcaine, avec Bob Marley et Marcus Garvey voisinant avec Nanny et Cudjoe. Il est évident que l’identité maroon est très forte.
Accompong prit toujours le parti des Anglais. En 1795-1796, durant le 2de guerre des Maroons, par ex., où le soulèvement de Cudjoe Town devenue Trelawny Town – Maroon Town? – fut maté, sa population envoyée au Canada ou au Sierra Leone, et ceux restants accueillis à Accompong.
Accompong accueillit également, au fur et à mesure, les habitants d’autres villes maroon reprises par les Anglais.
En 1832, lors de la révolte des esclaves menée par Samuel Sharpe à Montego Bay, les Maroons d’Accompong aidèrent également les Anglais à matter la rebellion. Une histoire différente, une identité différente. Nous, nous avons repris la route et le guaco m’intrigue toujours autant. Demain, Ochie, et ce soir, un bon plat de riz local avec veau.
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