Légendes, histoire et castros
Levé tôt, ce matin, et on reprend où on en était hier : le pont de Misarela.
Le soleil ne plombe jamais au zénith en ce moment. J’avais donc à peu près une chance sur deux de retrouver l’endroit avec un ensoleillement convenable. J’ai des points cardinaux à travailler : voilà qui pourrait me simplifier la tâche.
Le pont de la Misarela se trouve à 300 m d’altitude, enjambant de son arc le Rabagão. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se trouve dans une vallée encaissée : difficile, d’ailleurs, au vu des emménagements de la rivière, de comprendre d’où elle arrive.
13 m, c’est sa hauteur… Ca n’est pas celle des chutes que j’ai risqué, mais la descente est un vrai casse-cou!
1 km plus bas, le Rabagão se jette dans la Cavado. Ce point a été construit au Moyen-Âge et reconstruit au XIXe s.
Selon la légende, c’est le Diable qui aurait érigé cet ouvrage : acculé sur les lieux par ses poursuivants…
… Un hors-la-loi fugitif invoca le Diable pour leur échapper. En échange de son âme, il voulait traverser l’abîme.
Satan accepta, lançant un pont sur le torrent qui tomba en poussière aussitôt le poursuivi passé. Des années plus tard,…
Au seuil de la mort, ampli de remords, le vieux repenti retourna sur les lieux et réinvoca l’Ange du Mal pour faire le chemin inverse. Le pont réapparu et notre héro exorcisa alors l’ouvrage qui cette fois, resta debout après son passage. Une légende qui doit être peu ou prou valable pour tous les ponts du Diable du monde…
Il n’en reste pas moins que les lieux firent histoire… Imaginez une armée fuyant dans ce coupe gorge, portugais et alliés anglais aux fesses depuis Porto, pour finir sous la vindicte de 800 paysans du Barroso! C’est le 15 mai 1809 que, dans une nature plus verdoyante, les 18 000 hommes restant de son entreprise portugaise au maréchal Soult eurent cette même vision.
La fuite vers l’Espagne en proie à la guerre, celle via laquelle Napoléon avait envoyé son armée au Portugal, le 4 mars 1809.
Difficile à se figurer. Et ça n’est pas tout, puisqu’au cours du XIXe, les lieux virent encore une ou deux batailles engageant l’avenir du pays. Seul un érudit local serait capable de parler de la première, anecdotique.
Quant à la seconde, le 18 septembre 1837…
… Elle vit les constitutionnalistes l’emporter sur les cartistes dans un épisode de la Révolution de Septembre…
… L’une des rares au Portugal initiée par le peuple, rejoint ensuite par l’armée. Tout ça 40 m en contrebas, entre Tras-os-Montes [à gauche] et Minho / route de Porto.
Enfin, ce pont est aussi celui du Sauveur [Salvador] pour un culte populaire de défense de la maternité… Mais les surprises ne font que commencer.
Temps de quitter les chênes, freines, oliviers, orangers et vignes pour remonter, en une 10aine de kms, sur le barrage de Venda Nova, à 693 m…
Mis en service un 1951, il surplombe de ses 97 m le lit du Rabagão. Encore lui. Je poursuis ma route, traverse Venda Nova et prends la route de Carvalhelhos, un nom qui m’est connu et qui me taraude l’esprit depuis le début de mon séjour. Le tout en surfant sur les crêtes, aux alentours de 1000 m. Chemin faisant, une énimème fois intrigué par l’indication d’un castro , je m’arrête.
Un vacher me montre un point sur la bute, au dessus de la tête de cette Cachena : c’est le castro.
Impossible d’y aller sans traverser des propriétés privées : pas de chemin, pas de route, mal vu. Et puis il n’y a rien à voir, juste deux ou trois monticules de pierres, et moi, je m’interroge. « Enquête », ou pour le moins temporisation et visite du hameau, Gestosa…
Les vaches sont de sortie pour l’après-midi.
C’est un beau hameau, mais on dirait qu’il y a un gros propriétaire et puis les autres… Quant à cette route…
Elle se poursuit, plus haut, menant sur les hauteurs, à la manière des voies romaines, ce qu’elle semble être, creusée de sillons sur chaque côtés. Alors ni d’une ni de deux, je pense qu’il y a des castros là-haut aussi…
… Alors je monte et je monte même sur les rochers creusés. Un castro? Pas un castro? L’eau qu’a creusé? Des hommes?
Un local me confirme le passage de la voie romaine et m’explique ce que sont les castros, souvent des découvertes aériennes.
Je continue donc ma route, on verra bien avec le prochain. Le paysage est superbe. Une autre indication de castro doublée de celle d’une mamoa me ramène sur des routes secondaires. Pas fini d’éclaircir un doute que j’en ai un qui s’ajoute! Mais je suis ôpiniatre, et puis dans ce cas, le castro porte un nom.
Au pied d’une bute, à 991 m d’altitude, la mamoa de Chã do Lesenho, au milieu des genêts. Il s’agit du monticule à peine visible, au fond à gauche : il trahit la présence d’un monument funéraire du néolithique, 4 000 ans av. J.-C. Il faut savoir le voir et l’interpréter! Les rochers eux-même semblent avoir été amménagés… Quant à savoir s’il s’agit d’une reconstitution ou d’une supercherie…
J’entame l’assension de la colline qui, je l’espère, va m’aider à comprendre ce qu’est un castro . Vue vers le Nord.
A l’Est couloe une rivière : derrière ce massif, orientée Sud, la vallée du Tamega.
Sur la colline autour de laquelle s’enroule le chemin emprunté, apparaissent les premières traces de ce fameux castro : il s’agit de fortifications. Il s’agit ici de reconstitutions réalisées dans les années 1960 par un archéologue portugais, Joaquim dos Santos Junior.
Seules quelques fondations et bases des multiples lignes de défense ont été restaurées, mais suffisantes pour donner au curieux une idée de ce que pouvait être le castro de Outeiro Lesenho entre les âges du Bronze et de Fer, soit il y a environ 3000 ans, aux alentours de 1000-900 av. J.-C.
Au sommet, à 1073 m d’altitude, la vue est à couper le souffle. La colline s’élève à 80 m au dessus des environs et fournissait une défense naturelle à ses habitants, qui la renforcèrent avec plusieurs lignes de défense, de sa base jusqu’au sommet. Avant reconstitution, ces lignes n’étaient plus que tas de pierres.
Il y avait pourtant là des murailles d’une constitution solide de granite qui montaient jusqu’à 3 m de hauteur. Ici, vers le Nord et le lac du Alto Rabagão : on reconnaît les deux monts de Alturas do Barroso [=hauteurs du Barroso] qui se font face, à gauche, précédent, bien au loin, les crêtes de Pitões das Junias. Au pied de la bute, à gauche du large triangle défriché, la mamoa de Chã de Lesenho.
Les lieux ont la particularité d’avoir abrité une découverte de 1782, longtemps conservée en l’église locale de Boticas avant de rejoindre le Musée archéologique national, à Lisbonne : 4 statues de guerriers galaico-lusitaniens, dont deux considérées comme authentiques. Leur datation est incertaine, entre l’Âge de Fer et le Ier s. av. J.-C. …
Leur sens est inconnu : peut-être la déification des héros et guerriers locaux en tenue de combat. Leur présence sur place, plus rare en d’autres lieux similaires, laisse croire que ce castro, parmi les plus importants de la région, était la capitale du peuple Equaesi, entre Callaesi (Gallice) et Lusitani (Lusitanie) , pacifié par les romains et listé par eux sur une colonne que l’on peut voir à Chaves. Il s’agit ici d’une réplique.
Et dire que d’en bas, je pensais qu’il s’agissait d’une Vierge, d’un Christ ou autre saint posté tout là-haut… Comme quoi, je ne suis pas dénué de bons clichés!
Direction Carvalhelhos. Ce nom est un peu mythique, pour moi, s’agissant de la marque de l’eau minérale qui m’était servie, petit, en vacances : pique-niques, café, restau, il y avait toujours l’étiquette de ce nom imprononçable devant mes yeux : agua de Carvalhelhos . Pas grand chose à voir, pourtant, dans cette ville thermale, à cette époque de l’année. Un village comme un autre dans le coin.
Avec son castro, comme il se doit! Mais le soleil me quitte déjà. Comme à Outeiro Lesenho, c’est Joaquim dos Santos Junior qui étudia celui-ci, au début des années 1960. Très imposant également, quoique dans une situation naturelle moins pratique que sur la colline.
Des habitations circulaires ont été mises à jour à l’intérieur et à l’extérieur d’imposantes murailles de pierres…
D’un côté, un fossé naturel protège les lieux…
Tandis que de l’autre, jusqu’à 3 fossés de défense avaient été creusés, précédent à l’entrée 2 épais murs de pierres! Il faut, ici encore, avoir l’oeil… A l’époque, il s’agissait de se protéger des animaux sauvages, mais aussi des autres tribus locales : toutes n’étaient pas de mêmes culture et système politique. Ceci laissant présager bien des choses.
En contrebas, un petit centre aéré muni de la reconstitution d’un camp romain et autres curiosités sur lesquels je n’aurais pas craché dans mon enfance, ainsi qu’une piste de décollage. Comme quoi, et en dépit d’une apparence pas forcément positive, plus authentique qu’authentique, l’eau de source a bel et bien du bon pour le village de Carvalhelhos. Quant à moi, j’ai appris bien des choses aujourd’hui.
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